La valorisation des déchets vise à réduire l'impact environnemental et à remettre dans la boucle économique des ressources pour remplacer des matières premières et des énergies fossiles. Cependant, la diversité des filières et des débouchés (compétions) peut menacer la disponibilité de ces ressources si elle n'est pas correctement gérée.
Cette étude identifie les compétitions sur plusieurs gisements stratégiques et propose des recommandations pour les intégrer dans une planification stratégique destinée aux acteurs privés et publics. Les déchets analysés incluent les biodéchets, les plastiques (PET et PEHD), les terres excavées, le bois B, les papiers-cartons et les textiles.
Ces compétitions ont été confrontées à deux des scénarios prospectifs de l'ADEME Transition(s) 2050, révélant la diversité des compétitions et des mécanismes sous-jacents propres à chaque gisement. Les facteurs décisifs influençant la compétition ont été identifiés pour chaque gisement. Cette étude propose un cadre méthodologique générique applicable à différents gisements et contextes territoriaux. Ce cadre systémique est essentiel pour le déploiement de l'économie circulaire et une valorisation des déchets adaptée aux territoires et aux acteurs impliqués.
Date de publication : mai 2025
Réalisation : Mines Saint-Etienne, Setec énergie environnement
Référence : Compétitions d’usage et variations de valeur sur les gisements de « déchets – ressources ». Évaluation des conséquences économiques, environnementales et sociétales, 2025, 107p, n°23-0722/1A
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Contexte et objectifs de l’étude
Face aux risques de raréfaction des ressources, y compris renouvelables, et à la nécessité de réduire les impacts sur le climat et la biosphère, les déchets issus des activités humaines sont dorénavant considérés comme de véritables ressources matière et énergie. Ainsi, de nombreuses filières, exutoires et usages se développent, parfois sans réelle coordination à l’échelle des territoires, ou bien dans un contexte économique incertain.
Ainsi, les réglementations actuelles et les évolutions économiques sont susceptibles d’engendrer des compétitions d’usage et des fluctuations de valeur pour certains gisements et d’induire des biais de concurrence, avec des conséquences multiples en termes économique, environnemental et sociétal. Ces compétitions d’usage et variations de valeur sont déjà visibles sur certains flux de déchets, comme les matières organiques.
Les institutions, les producteurs et les gestionnaires de déchets ont en outre besoin de cerner et anticiper ces compétitions afin de réduire ces tensions, d’orienter les investissements sur les pratiques et outils technologiques pertinents, de pérenniser les filières de valorisation sur le moyen terme et d’argumenter leurs choix auprès des autorités et des instances réglementaires.
Dans ce contexte, cette étude a pour objectif d’apporter des connaissances nouvelles sur les compétitions d’usages liées à l’exploitation de certains types de « déchets - ressources », sur leur dynamique, et de fournir des recommandations sur la manière de les intégrer à une planification stratégique à destination des acteurs privés et publics. En particulier, un objectif important de cette étude est de formaliser un cadre d’analyse pertinent pour l’étude des compétitions et de leurs facteurs d’émergence. Celui-ci a été construit et testé sur l’analyse de six gisements en France : les biodéchets triés à la source, les déchets plastiques (résines PET et PEHD), les terres excavées, le bois B, les déchets papiers-cartons et les déchets textiles.
Démarche méthodologique
La démarche méthodologique proposée se décompose en quatre étapes distinctes :
Identification des compétitions et cadre d’analyse
Le cadre d’analyse (Figure 1) prend comme point de départ les compétitions pouvant affecter l’attractivité économique ou le développement de la valorisation matière des gisements, voie de valorisation mise en avant dans les politiques publiques. Il se décompose en 5 catégories de compétitions, qui ont été définies en fonction de l’étape de la chaine de valeur à laquelle elles sont susceptibles d’émerger. En effet, des tensions peuvent subvenir au moment de la collecte, sur la récupération et la répartition des déchets. Ainsi, une opposition peut exister entre les tenants des stratégies de réduction à la source et les acteurs de la valorisation matière (I.1) ou de la valorisation énergétique (I.2). Aussi, une compétition entre territoires (régions du monde, pays, régions infranationales) peut émerger pour la captation de ces gisements (I.3). En aval, les produits issus de la valorisation matière peuvent également faire l’objet de multiples convoitises, soit entre secteurs d’application, ou débouchés, (II.1), soit entre territoires de consommation (II.2). Le marché de la valorisation matière lui-même est en concurrence avec les produits qu’elle est censée substitués, issus de matières premières vierges (III.1). Les entretiens ont également révélé une compétition, au moins sur le court terme, entre les acteurs traditionnels de la valorisation matière (recycleurs) et de nouveaux entrants (les metteurs sur le marché, via les éco-organismes) sur certains flux (IV.1). Enfin, la valorisation matière elle-même est traversée par des compétitions, entre différentes voies possibles (réemploi, réutilisation, recyclage) (V.1), entre acteurs de la valorisation matière exerçant la même activité (V.2) et entre technologies de recyclage présentant des configurations socio-techniques distinctes (V.3).
Figure 1 : Cadre analytique pour l'étude des types de compétitions associées aux filières de valorisation des déchets-ressources (RECORD, 2024)
Ainsi, 10 types de compétitions ont été identifiés sur la base de la revue de littérature et des entretiens menés pour les six gisements préalablement cités. Il est attendu que ces différents types de compétition ne sont pas tous pertinents pour tous les gisements. Certains n’ont pas lieu d’être (comme la valorisation énergétique pour les terres excavées) ou le choix n’est pas possible du fait d’une exigence réglementaire, par exemple dans le cas de certains bois B qui ne peuvent être valorisés énergétiquement. Ainsi, ce cadre est amené à prendre des profils différents pour chaque gisement, mais est suffisamment générique pour être applicable à tous.
L’application de ce cadre d’analyse aux six gisements précités montre une diversité de compétitions entre les gisements (avec des similarités) selon les différentes étapes de la chaine de valeur. Ainsi, des compétitions plutôt en amont de la valorisation matière, lors des étapes de collecte et de préparation à la valorisation pour les biodéchets, le bois B et les terres excavées. Pour les deux premiers, la question de la répartition du gisement entre valorisations matière et énergétique est centrale, bien qu’elle s’exprime selon des modalités différentes (échelle de traitement). Pour les terres excavées, les compétitions portent moins sur une voie de valorisation, ou une technique de traitement qu’entre une valorisation qualitative (réemploi, réutilisation, recyclage), le remblaiement de carrière, voire le stockage. A l’inverse, on retrouve des compétitions plutôt « au sein de » et « en aval » de la valorisation matière pour les déchets plastiques, papiers-cartons et textiles. Ainsi pour les plastiques, les compétitions fortes sont diverses et se retrouvent sur le marché du recyclage (entre matières premières, entre acteurs de la chaine de valeur, entre technologies de recyclage). Pour les textiles, la compétition entre réemploi/réutilisation et recyclage apparaît comme structurante. Enfin, pour les papiers-cartons, bien que peu de compétitions soient ressorties des entretiens, une dynamique récente du secteur pour la production de carton ondulé (force motrice du secteur actuellement) fait craindre des tensions sur l’approvisionnement en cartons à recycler entre différentes usines de production.
Parmi les facteurs favorisant l’émergence de ces compétitions, la réglementation (objectifs d’incorporation de matières recyclées, tri à la source, filières REP), les facteurs macro-économiques (coûts des matières premières, du transport), les politiques publiques (objectifs des donneurs d’ordre, implication des collectivités), les stratégies industrielles (capacités de traitement prévues, politiques de décarbonation, stratégies marketing et d’éco-conception), les facteurs relevant du contexte local (quantité et qualité du gisement, distribution spatiale des repreneurs) et le foncier (disponibilité des terrains) apparaissent comme particulièrement influents. Certains facteurs d’émergence restent décisifs pour des gisements particuliers. Pour les biodéchets, les stratégies industrielles et la participation des collectivités locales influencent leur répartition entre les filières. Pour le bois B, les coûts de transport et le développement d’entreprises utilisatrices de bois recyclé sont cruciaux. Pour les terres excavées, les coûts de mise en œuvre, la maturité des filières et la disponibilité du foncier sont des contrepoids importants. Les politiques liées à l’artificialisation et les mesures locales de construction/déconstruction affectent également leur valorisation. Pour les déchets plastiques, les coûts de fonctionnement, les stratégies des metteurs sur le marché, l’adaptation des recycleurs et la réglementation sont influents. Pour les déchets textiles, les politiques publiques sont cruciales pour équilibrer recyclage et réemploi. Les facteurs identifiés pour les plastiques s’appliquent aussi au textile. Enfin, pour les déchets papiers-cartons, la quantité et qualité du gisement et le principe de proximité pour le recyclage sont apparus comme particulièrement décisifs.
Evolution des compétitions selon deux scénarios Transition(s) 2050 de l’ADEME
L’analyse prospective a mobilisé les résultats des travaux Transition(s) 2050 menés par l'ADEME à l’échelle de la France. Ainsi, deux scenarios ont été choisis : le premier - Technologies Vertes - est le plus proche de la trajectoire actuelle de la société française et des mesures de transition écologique et énergétique annoncées par le gouvernement (horizon 2020-2023). Le second scenario retenu - Générations Frugales - est au contraire en rupture avec les mesures actuelles, mettant en avant le concept de sobriété et reposant sur une logique de soutenabilité forte, pour laquelle la gestion des impacts consiste en premier lieu à les éviter. Dans les deux cas, l’analyse prospective a tenu compte de l’influence de 5 axes représentant les différents domaines d’action contribuant à la transition climatique de la France : les Techniques, l’Economie, la Société, la Gouvernance et les Territoires. Ces différents axes, et leurs orientations en fonction de chaque scénario, ont permis de définir des sens d’évolution des facteurs d’émergence, puis des compétitions. Pour les gisements considérés, les facteurs d’émergence particulièrement décisifs dans le renforcement ou l’atténuation des dynamiques de compétition entre les deux scénarios sont :
Ainsi, bien que des types de compétitions similaires ont pu être identifiés, l’analyse des facteurs d’émergence décisifs montrent une réelle diversité dans les mécanismes sous-jacents des compétitions, propres à chaque gisement.
Conséquences environnementales, économiques et sociétales des compétitions
Une analyse croisée inter-gisements des questionnements soulevés par les compétitions a pu mettre en évidence certaines conséquences environnementales, économiques et sociétales apparus lors des entretiens et de l’analyse de la littérature. Ainsi, sur les biodéchets et le bois B, les compétitions identifiées ont mis en exergue la question de la montée en puissance et en échelle des filières de valorisation énergétique (méthanisation pour les biodéchets ; pyrogazéification, chaudières CSR ou biomasse pour le bois B), particulièrement valorisées dans le contexte énergétique actuel. Cette dynamique induit plusieurs conséquences potentielles, positives et négatives : création d’emplois a priori non délocalisables et baisse des coûts de process dans les filières énergie, avec en contrepartie une potentielle intensification des impacts environnementaux locaux liés à ces technologies. Dans le cas des biodéchets, cette montée en échelle pose aussi la question d’une articulation adéquate avec la lutte anti-gaspillage (prévention) mais amène aussi en filigrane une clarification sur les enjeux environnementaux à prioriser. En effet, une « gestion simple / de proximité » des biodéchets est aujourd’hui majoritairement assurée par le compostage (même si elle pourrait aussi en partie être prise en charge par certaines technologies et configurations de méthaniseurs). Ce type de gestion répond à un enjeu environnemental local, celui du retour au sol des nutriments et du carbone nécessaires à la croissance des plantes. Un usage énergétique à grande échelle des biodéchets (assuré par la méthanisation) répond quant à lui en premier lieu à des enjeux environnementaux globaux, de moindre dépendance à des énergies fossiles et donc à une réduction des émissions de gaz à effet de serre (impact sur le changement climatique).
L’analyse de l’évolution possible des compétitions pour les déchets plastiques et textiles a mis en évidence des trajectoires opposées en fonction du scénario considéré, révélant en creux des choix socio-techniques contrastés concernant la valorisation matière, ayant des conséquences à différentes étapes de la chaine de valeur. D’un côté, une trajectoire basée sur la réduction à la source des déchets et le recyclage mécanique et/ou le réemploi, qui pose un enjeu fort sur l’amont de la filière, via la mobilisation accrue des producteurs de déchets (pour la réduction à la source et le tri) et des metteurs sur le marché (pour l’éco-conception). Elle implique des problématiques organisationnelles (création de davantage de liens entre designers et recycleurs, optimisation de la collecte et du tri) et sociétales (sur les modes de consommation). De l’autre côté, une trajectoire basée sur un volume croissant de déchets et la prise en charge par le recyclage (impliquant le recyclage chimique), ayant des conséquences notables sur l’aval de la filière : implantations de sites de recyclage de grande capacité, avec un risque d’augmentation des impacts environnementaux du recyclage mais également du transport longue distance. Le secteur R&D serait fortement mobilisé (pour trouver de nouveaux débouchés techniques), avec potentiellement des créations d’emplois dans ce secteur.
Enfin, sur les terres excavées, l’analyse des compétitions pointe la question de la valeur économique même des terres excavées, qui reste à trouver. Une augmentation de cette valeur (par rapport au remblaiement et aux matériaux conventionnels) entraînerait des conséquences a priori négatives sur les coûts de logistique (pour le stockage), qui pourraient être compensés par un gain sur des coûts d’approvisionnement moindres par rapport aux matériaux conventionnels. La réduction de la pression sur la ressource minérale pourrait être néanmoins limitée, en fonction du maintien ou non d’une demande croissante en matériaux. En plus de trouver une utilité aux terres, l’évitement du remblaiement a pu également entrainer une réduction de conflits locaux car le stockage de terres à proximité de zones d’habitation a pu être vécu comme un déclassement de certains territoires.
Conclusions principales et perspectives
Les conclusions spécifiques aux gisements étudiés pourraient être davantage approfondies, au regard des limites de l’étude liées à la représentativité de l’échantillon d’acteurs interrogés et à des simplifications nécessaires des dynamiques compétitions, opérée notamment pour l’analyse prospective.
Néanmoins, cette étude propose un cadre méthodologique suffisamment générique pour être appliqué à différents gisements, et adapté à des contextes territoriaux et d’usages des déchets-ressources plus spécifiques. De futures études pourraient ainsi s’appuyer sur le modèle proposé dans ce travail, pour peu que celles-ci s’inscrivent dans le même champ, à savoir : l’analyse de dynamiques (territoriales, économiques) centrées autour de l’utilisation ou de la valorisation de flux de ressources. Elles pourraient aller plus loin en identifiant le rôle de ces compétitions dans l’émergence ou non de filières (rôle réellement concurrentiel, voire inhibant, ou amenant à des collaborations) ainsi que les facteurs déterminants influents (prix, qualité, innovation, etc.). En particulier, la dualité entre compétition et complémentarité, apparue lors des entretiens, n’a pas pu être explorée dans ce travail.
L’intégration des scénarios prospectifs, tels que ceux élaborés par l'ADEME, a été clé dans la compréhension des mécanismes des compétitions. Cet exercice prospectif, bien qu’il ne soit pas indispensable à l’identification de compétitions elles-mêmes, a permis de mieux comprendre l’influence de différents éléments de contexte réglementaire, technologique, de comportement des consommateurs, etc. Il a également servi à identifier de réels enjeux socio-techniques se cachant derrière les compétitions observées, chacun avec leurs conséquences spécifiques. Dans une perspective d’anticipation des compétitions, en intégrant ces scénarios dans leur réflexion, les acteurs du secteur pourraient mieux se préparer aux changements à venir et à l’élaboration de stratégies plus adaptées.
En conclusion, de par ses frontières intégrant toute la chaine de valeur liée aux filières de valorisation, le cadre développé peut servir à mettre en évidence des enjeux multi-acteurs, multi-stratégies, allant au-delà des dynamiques de marché liées au recyclage ou à la valorisation énergétique, souvent mis en avant. Cette vision systémique est aujourd’hui indispensable pour mieux appréhender le déploiement de l’économie circulaire, et en particulier, d’une valorisation des déchets-ressources qui soit adaptée aux territoires et aux différents acteurs qui en font partie.
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